Kenny Colman

Les qualités uniques de Kenny Colman en tant que chanteur jazz ont été grandement louangées par tous, du quotidien New Yorker au regretté doyen des critiques de jazz américains, Leonard Feather. Sur sa liste impressionnante d'admirateurs, on trouve le réalisateur David Foster, gagnant de Grammy (« Son talent devrait être connu dans le monde entier ».), le réalisateur et compositeur Johnny Mandel (« Kenny est le rêve de tout auteur-compositeur ».) ainsi que son vieil ami et mentor, Frank Sinatra. Colman, habitué du circuit international des salles de spectacle, de Monte Carlo à la célèbre Tavern on the Green de New York, compte parmi ses enregistrements Dreamscape, louangé par la critique, un classique regroupant des ballades enregistrées avec le London Philharmonic Orchestra. Pour Sinatra, ce disque est un « chant glorieux, une expérience amoureuse entièrement musicale ». « La route a été longue et difficile », selon Colman. « Mais je n'ai jamais laissé tomber. J'ai aimé toutes les chansons que j'ai chanté et tout le personnel qui m'a entouré ». La longue route qui l'a conduit à devenir un des stylistes de jazz les plus respectés de sa génération était aussi semée de quelques embûches inattendues.

Élevé à Winnipeg et à Vancouver, le premier grand amour de Kenny est le hockey. Il excelle dans tous les sports et, jusqu'à ce jour, il aborde la performance artistique avec le dévouement d'un athlète. Il grandit avec un attrait pour le son big band et les chansons de Porter, d'Ellington et de Mercer. Un attrait mis à profit lorsqu'il décroche un emploi comme disc-jockey à Vancouver. « J'étais le gars qui ne faisait jamais tourner Elvis », rit-il. « Et je ne le ferai jamais ». En peu de temps, Kenny devient DJ dans les Bermudes où il passe la majeure partie de son temps libre dans les clubs de jazz de l'île. Le bonze des jeux télévisés, Bill Todman, ainsi que sa femme Fran, se lient d'amitié avec lui. Le couple encourage Colman à les appeler si jamais il passe par New York. C'est tout ce que Kenny avait besoin d'entendre.

Rapidement, il est engagé à Manhattan, casting et développant des idées pour un jeu télé appelé Play Your Hunch. L'animateur du jeu est Merv Griffin, un amateur de longue date de Kenny Colman qui déclarera plus tard qu'il est « l'homme le plus tenace et le plus talentueux que j'ai connu ». Début des années soixante. La scène jazz de New York est en pleine effervescence et Colman passe ses soirées en compagnie de diverses formations, entre les murs des légendaires The Half Note, The Five Spot et The Village Vanguard. Au cours d'une des ces sessions à la brunante, Sarah Vaughan fait partie de l'auditoire. Vaughan est si impressionnée par Kenny qu'elle organise son premier concert de niveau professionnel : chanter au Flamingo Hotel de Las Vegas, sur le même bill que Lionel Hampton et Della Reese. Les rêves de Colman de carrière de chanteur professionnel étaient en train de se réaliser. Kenny travaille fort et devient de plus en plus sollicité au cours du début des années soixante. Il fait la première partie de Lenny Bruce au LeBistro d'Atlantic City, signe un contrat chez Epic Records et figure au The Tonight Show de Johnny Carson. Kenny chante deux chansons pour Carson, terminant sa prestation par une interprétation magistrale de God Bless the Child par Billie Holiday. Le matin suivant, le téléphone ne dérougit pas d'appels d'agents et de gérants lui offrant des contrats alléchants. Nous sommes en 1964 et l'avenir de Colman semble prometteur. Mais qu'arrive-t-il? « Les Beatles arrivent en scène» explique Kenny. « Tout d'un coup, le rock 'n roll est partout ». Même si la plupart des collègues de Colman réorientent leur carrière, Kenny tient bon. Il fait la ronde des émissions de variété à la télévision : Merv Griffin, Mike Douglas, Redd Foxx, Midnight Special. Il joue dans des stations balnéaires et des clubs, d'Aruba à Acapulco en passant par Palm Springs où Sinatra l'entend pour la première fois, au Jilly's. Selon Colman : « Quand les jeunes viennent me demander conseil à propos du milieu, je leur réponds toujours ce que Sinatra m'a dit : N'arrête surtout pas de chanter ». C'est ce que Colman fait, attirant plusieurs admirateurs de diverses origines : Anthony Quinn, le compositeur Cy Coleman, Muhammad Ali et le trompettiste légendaire Harry « Sweets » Edison. En 1985, des médecins de Los Angeles informent Colman qu'il a une tumeur cancéreuse au cerveau et qu'elle est inopérable; il lui resterait six mois à vivre. Kenny vend ses tubes, donne sa tenue de soirée et retourne à Vancouver pour faire ses adieux. Heureusement, la chance tourne pour Colman.

Un deuxième et un troisième avis de médecins canadiens démontrent un diagnostic erroné. Kenny a bel et bien une tumeur au cerveau, mais, heureusement, elle est opérable et bénigne. Les nouvelles de la lutte de Kenny parviennent à Frank Sinatra. Impressionné par le talent et la détermination de Colman, Sinatra développe un intérêt personnel pour la carrière du chanteur. Lorsque Frank joue les grandes salles à Las Vegas, Atlantic City ou Caesar's Tahoe, Kenny obtient souvent des contrats pour chanter dans les salons. « C'est le meilleur agent que j'aie jamais eu », affirme Colman, en parlant de l'encouragement soutenu de Sinatra. Colman évoque aussi l'appui d'une grande amie de Frank, Jilly Rizzo, avec grande affection. Il se remémore la soirée de réouverture du Jilly's à New York, dans les années 1980. « Frank m'a demandé de m'approcher de sa table, il m'a pris la main et m'a dit : ?Kenny toi, moi et Tony Bennett, nous sommes comme des frères. Nous sommes les derniers chanteurs de saloon' ». C'est grâce à l'influence de Sinatra si Colman a réussi à obtenir un engagement total du Loews Monte Carlo, où le chanteur a donné des spectacles, entre autre pour le prince Albert, pendant plus d'un an. Les critiques élogieuses, y compris un article louangeur par l'auteur jazz reconnu Mike Zwerin de l'International Herald Tribune, ont capté l'attention du seigneur du houblon hollandais Freddy Heineken, qui a réalisé Dreamscape. Le CD mettait en vedette le chanteur entouré par des talents tels que le compositeur et arranger Johnny Mandel, la légende de l'harmonica jazz Toots Thielmans et le London Philharmonic Orchestra. Colman évoque un des grands moments de cette période : lorsqu'il joue avec le James Last Orchestra, composé de 60 musiciens, devant cinq mille amateurs de jazz hollandais.

La réputation de Dreamscape a grandi auprès des amateurs comme des critiques de jazz, ce qui, inévitablement, capta l'attention de Jim West de Justin Time Records. West ajouta Dreamscape à son catalogue et, grâce au succès du CD, suggéra à Colman de faire un autre disque qui serait un hommage vibrant à ses racines des night clubs. Voilà l'origine de Straight Ahead, un nouveau CD que les compositeurs Marilyn et Alan Bergman, gagnants d'un Oscar, considèrent comme « un irrésistible mélange de chansons inoubliables et d'interprétations mémorables ». « Kenny Colman est sans conteste un grand chanteur et un interpète incroyablement perspicace... vraiment, le rêve de tout auteur-compositeur ». - Johnny Mandel