Muddy Waters
À la fin des années 1940 et au début des années 1950, Chicago est l'épicentre de l'explosion du blues; tous les chemins mènent à la ville des vents, du delta du Mississippi, du Midwest et du Sud-Est. Tout commence en 1948, avec la parution d'un simple 78 tours d'un chanteur-guitariste appelé Muddy Waters. Aristocrat 1305 présente sur ses deux faces des pièces du style Mississippi Delta traditionnel : I Can't Be Satisfied et I Feel Like Going Home; sur ces faces, on entend la puissante voix de Waters qui appuie ses syllabes.Voilà précisément ce qui émeut le musicologue Alan Lomax qui, au nom de la Library of Congress, explore Stovall's pour découvrir et enregistrer sur place les nouveaux talents qui jouent du blues original et pur, à la source même. Il trouve Muddy, ou McKinley Morganfield comme on le connaissait à l'époque. À l'âge de treize ans, Muddy commence à jouer de l'harmonica et quatre ans plus tard, il se met à la guitare. « C'est que, j'aimais bien Son House et Robert Johnson , les deux maîtres absolus du style de guitare très typique « bottleneck ». Cette technique fait de la guitare slide « bottleneck » un prolongement adéquat et une imitation de la voix d'un bluesman, reproduisant les descentes, les méandres, les glissandos et toutes ces obscures saccades tonales de son registre de 12 arpèges.Les pianistes Sunnyland Slim et Eddie Boyd ainsi que le guitariste Blue Smitty jouent avec Muddy au tout début de son illustre carrière au sein du South Side de Chicago.
Sunnyland joue un rôle déterminant dans le lancement de la carrière de Muddy; il invite Muddy à participer à sa session de 1947 chez Aristocrat (Johnson Machine Gun) et, tout de suite après, Muddy enregistre pour la première fois chez Aristocrat, ce qui donne Gypsy Woman. Mais rien ne peut se comparer à la clameur de I Can't Be Satisfied, qui est devenu le premier succès de R & B à l'échelle nationale en 1948. Lorsque Muddy Waters forme son propre groupe avec Little Walter à l'harmonica, Jimmy Rogers comme second guitariste et Baby Face Leroy Foster à la batterie (et à la guitare), tous de puissants chanteurs, il reconnaît que leur supériorité sur les autres artistes du South Side et d'ailleurs est unanime.
Dès 1951 Waters est déjà le roi du palmarès R & B, enchaînant succès après succès. Louisiana Blues, Long Distance Call, Honey Bee, Still A Fool, She Moves Me et Mad Love ne sont que quelques titres qui ont marqué cette époque. Son classique de 1950, Rollin' Stone, n'obtient aucun succès, mais il apportera la chance plus tard à un groupe de jeunes britanniques.Avec Willie Dixon, le vétéran bassiste et auteur talentueux, le groupe est enfin formé, permettant à Waters d'obtenir encore plus de succès avec les nombreuses chansons qu'il écrit (I'm Your Hoochie Coochie Man, Just Make Love To Me, I'm Ready). Autre changement important : James Cotton remplace Little Walter en 1954. Avec le rock & roll qui émerge et le modernisme de Chuck Berry, Bo Diddley, les Moonglows et les Flamingos, Muddy change aussi. Après 1958, ses pièces sont entièrement urbaines; par exemple : Walking Thru The Park, You Can't Lose What You Ain't Never Had, et l'entraînant Got My Mojo Working, ainsi que She's Nineteen Years Old, pour ne nommer que ceux-là.Le blues de Muddy survit au grand bouleversement des années 1960 (pensez à B.B. King d'une part et au phénomène de masse comme James Brown d'autre part) et acquiert une renommée internationale dans les années 1970. Même si la dernière étincelle de vie a quitté son corps pendant son dernier sommeil le 30 avril 1983 à Westmont, en Illinois, la flamme qui a animé la restructuration du blues réchauffe toujours le coeur de la musique populaire contemporaine.